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Enseignement

Le bardo du rêve - 10/12

Chépa Dorjé Rinpoché - Paris, le 26 avril 2001

Nous devons penser que nous allons écouter cet enseignement pour libérer l’ensemble de tous les êtres qui ont été nos pères et nos mères, qui errent dans la souffrance du samsara et dont le nombre est aussi vaste que vaste est l’espace

Dans une prière, le Bouddha Shakyamuni a dit :

Hommage ! L’ensemble de toutes les apparences phénoménales est illusion.
Ces apparences apparaissent de la conscience de notre courant d’être et il est nécessaire de les stopper. De quelle manière pouvons-nous les stopper ?
En pratiquant la vertu, en abandonnant les actes non-vertueux et en dédiant l’ensemble de toutes les vertus. Ainsi nous avons la possibilité de discipliner l’esprit.

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Voici la vérité du Bouddha. Ce sont les premières paroles du Bouddha. Ces premières paroles furent aussi proférées au Tibet. Au Tibet, avant l’apparition du Bouddhisme, il y avait la religion Bön dans laquelle on faisait des sacrifices, croyant que tuer des animaux pour offrir leur chair et leur sang était une bonne chose.

Quand Guru Rinpoché, Vimalamitra et le khenpo Bodhisatto arrivèrent au Tibet et qu’ils virent cette religion Bön, ils voulurent quitter ce pays barbare. Mais le roi de l’époque leur demanda de rester et de débattre avec cette religion Bön pour que le bouddhisme puisse s’implanter au Tibet.

C’est alors que Vimalamitra donna ces quatre vers du Bouddha. Le plus érudit des Bön n’eut rien à rétorquer. Les Bön n’eurent rien à répondre car ces quatre vers disent que la cause même de toutes les apparences phénoménales se trouve dans notre esprit et que le moyen de stopper ces apparences phénoménales est de ne pas commettre le moindre acte négatif, la moindre faute et de dédier la vertu.

Les Bön, faisant toutes sortes de sacrifices rituels, d’offrandes de viande et de sang, n’ont rien trouvé à rétorquer à ces vers qui continuent en disant que c’est la vérité du Bouddha, qu’en abandonnant les actes non vertueux et qu’en pratiquant la vertu, nous pouvons discipliner notre esprit. Au Tibet, il y a encore des Bön qui continuent à faire ces sacrifices, qui offrent toutes sortes de nombreux animaux qu’ils immolent. Grâce à la croyance en le Dharma du roi de l’époque, le bouddhisme a pu s’implanter et la religion Bön a été écartée, même s’il reste encore aujourd’hui un petit nombre d’adeptes.

Ce qui est important, ce sont ces paroles qui disent qu’il faut arrêter cette cause. Comment cela ? Grâce à notre esprit. En disciplinant notre esprit, nous pouvons arrêter cette cause et l’ensemble de toutes ces apparences.

Il y a toutes sortes de moyens pour pouvoir discipliner notre esprit. Il y a le Petit Véhicule, le Véhicule Intermédiaire et le Grand Véhicule.

Actuellement, nous nous entraînons dans le Grand Véhicule.
Quelle est la différence entre le Petit Véhicule et le Grand Véhicule, qui font tous les deux partie des enseignements et des paroles du Bouddha ?

La différence est au niveau de la clarté. Si nous ne voyons pas très clair, nous n’avons pas la possibilité de voir très loin. Si à l’inverse nous avons une bonne vue, nous pouvons voir très loin, d’une manière très vaste.

Il faut avoir toutes nos capacités. Il faut avoir l’esprit détendu, l’esprit vaste, l’esprit ouvert et de l’intelligence. C’est grâce à ces différentes capacités que nous pouvons entrer et nous entraîner dans les mantras secrets. En Occident, nous avons l’agilité intellectuelle, mais avons-nous l’esprit vaste ou étriqué ? Cela je ne le sais pas….

Nous pouvons voir encore des différences entre le Petit et le Grand Véhicule à travers la Vue, la Méditation et l’Action.
La Vue dans le Petit Véhicule est une Vue obscure, sans clarté, alors que dans le Grand Véhicule la Vue est parfaitement claire.

Pour la méditation, il y a toutes sortes de moyens dans le Grand Véhicule alors qu’il n’y a pas tous ces moyens dans le Petit Véhicule. Quant à l’action, dans le Grand Véhicule, il n’y a aucune difficulté, alors qu’il peut y en avoir dans le Petit Véhicule.

Par exemple dans le Petit Véhicule, si nous sommes généreux, il faut donner immédiatement quelque chose, donner ce que nous possédons. Dans le Grand Véhicule, il ne faut pas donner ce que nous possédons, il suffit juste de se réjouir de ce que les autres donnent.

Quand dans le Petit Véhicule nous donnons ce que nous possédons, des obstacles peuvent apparaître. L’orgueil par exemple, si en donnant nous sommes en train de nous dire que nous donnons ce que nous avons de mieux. Comme l’avarice, si nous oscillons entre donner ou ne pas donner, ou encore la jalousie.

Ces obstacles ne surviendront pas dans le Grand Véhicule. Si nous nous réjouissons, nous ne pouvons pas être avares puisque nous ne donnons pas. Nous coupons alors la jalousie puisque nous nous réjouissons que l’autre possède une chose que nous n’avons pas.

Comme le Bouddha Shakyamuni l’a dit, il est nécessaire de discipliner son propre esprit et c’est un bon moyen de le faire. Dans le Petit Véhicule c’est parfois difficile de discipliner son propre esprit car d’un côté nous disciplinons notre esprit mais de l’autre côté, nous accumulons toutes sortes d’actes négatifs pour ce faire. Malgré tout ce Petit Véhicule est nécessaire pour certains êtres car il est trop difficile pour eux de développer un esprit très vaste, un esprit ouvert. C’est quelque chose qu’ils ne peuvent ni concevoir ni pratiquer.

Pour certains individus le chemin sera long. Il faudra qu’ils accumulent du mérite pendant de très nombreux kalpas.
Dans le Grand Véhicule nous avons la possibilité d’atteindre l’Éveil dans cette vie-ci, ou bien dans une vie, dans deux vies, dans trois vies, dans quatre ou sept vies.

La fois précédente nous avons vu pendant les vœux de Prise de Refuge, que c’était ce que nous appelions « un moyen ». Ceci montre bien que dans le Grand Véhicule il y a toutes sortes de moyens. Par exemple dans l’offrande du mandala, il y a la récitation du mantra, la méditation, la visualisation, l’offrande de prosternations : toutes sortes de moyens à utiliser.

Cette vue est dite obscure ou non-claire car il y a de la saisie.
Si nous utilisons des moyens comme les prosternations ou d’autres moyens, mais que nous avons de la saisie, c’est à dire que nous nous disons que nous devons en faire chaque jour et que nous devons accumuler, avec une très forte saisie sur le nombre accumulé, cela n’est plus un moyen.

Alors un certain mal-être peut survenir dans notre esprit. C’est comme si nous nous donnions un certain nombre de pratiques à effectuer le matin et que nous n’y arrivions pas. Nous nous disons alors toutes sortes de choses du genre : « Ce n’est pas bien ce que j’ai fait, il fallait que je finisse de réciter toutes les prières que j’avais prévu de réciter, etc… ». En fait, nous avons alors une très forte saisie sur les pratiques que nous sommes en train d’effectuer. Si nous avons une très forte saisie sur ces pratiques, notre vue n’est pas claire, n’est-ce pas ? Notre vue est obscure. Nous ne pouvons pas faire naître et développer en nous cette sagesse, cette intelligence suprême, parce que nous saisissons les moyens.

Pour avoir la clarté dans notre esprit nous devons comprendre cela. Grâce à un bon professeur nous pourrons avoir une bonne compréhension de cette clarté et nous pourrons l’acquérir.

Il faut aussi acquérir un esprit stable à travers la foi, la dévotion que nous développons envers le Lama. Au départ, nous sommes un peu éloigné du Lama. Nous écoutons ses enseignements, nous en comprenons une petite partie, nous en gardons un petit peu, pas beaucoup.
Durant cette écoute, nous sommes un peu loin car nous n’avons pas cette foi, cette dévotion dans notre esprit. En fait, nous n’avons pas l’esprit stable. Quand nous n’avons pas l’esprit stable et que nous voyons le Lama, nous reconnaissons ses défauts au lieu de reconnaître ses qualités. Nous reconnaissons ses défauts parce que nous voyons nos propres défauts, et cela est dû à notre absence de stabilité, à notre absence de foi et absence de dévotion. Si à l’inverse nous développons cette dévotion, cette foi, cette stabilité dans notre esprit, nous deviendrons proches de notre maître et nous pourrons voir ses qualités : elles pourront se développer en nous.

Tout d’abord, il est nécessaire d’examiner notre propre esprit, d’examiner si nous avons de la foi et combien nous en avons. Si nous avons de la foi, nous ne verrons pas de défauts. Dans la mesure où le maître est un humain, il a exactement les mêmes activités que nous, mais nous n’avons pas la possibilité de voir comment est son esprit et son esprit dans ses actions.

C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un esprit stable car nous serons alors proches du maître. Sans cet esprit stable, nous serons loin du maître et nous lui verrons toutes sortes de défauts. Nous entrerons ainsi dans ce qui s’appelle les quatre actes incommensurables. Ce maître étant comme nous un être humain, il a exactement les mêmes activités que nous et si nous n’avons pas cette vision sans défaut, cette foi, nous penserons qu’il est exactement comme nous, en rien différent. Nous ne verrons pas que sa méditation, sa vue est complètement différente de la nôtre.

il arrive très souvent, même au Tibet, que tout d’abord nous nous sentions proche du maître et que nous pensions avoir de la dévotion, de la foi. Cette foi n’est pas stable, n’est pas véritable [littéralement c’est une foi mensongère, une fausse dévotion] : très rapidement nous remarquons chez le Maître toutes sortes de défauts. Nous perdons alors complètement la foi et la dévotion. Nous nous détournons complètement du Lama. Je ne sais pas s’il y a ce genre d’incompréhension en France ; elle est très présente au Tibet. C’est pour cela que c’est à chacun d’examiner son esprit et de le rendre stable petit à petit. Après avoir obtenu une certaine stabilité de l’esprit, on peut se rapprocher du maître et développer de la foi et de la dévotion.

C’est l’histoire d’un disciple qui était très proche du Bouddha Shakyamuni. Ce moine est resté vingt cinq ans près du Bouddha Shakyamuni. Son esprit n’était pas stable et bien qu’il était proche du Bouddha Shakyamuni, au bout de vingt cinq ans il se détourna complètement du Bouddha Shakyamuni, qui lui-même ne put rien faire contre cela. A l’heure actuelle, il y a même des choses que nous pouvons entendre à propos de grands maîtres tels que Sogyal Rinpoché ou d’autres maîtres, qui illustrent cela : des disciples sont très rapidement proches de ces maîtres mais leur trouvent des défauts, car ils n’ont pas l’esprit stable. Je pense que ces maîtres là n’ont pas de défauts, ce sont les disciples qui ont des défauts et qui n’ayant pas reconnu l’instabilité de leur esprit se détournent des maîtres et rencontrent ensuite toutes sortes d’obstacles.

Toutes sortes de défauts surviennent et toutes sortes de choses sont dites, sont écrites, et l’origine de cela est l’instabilité de l’esprit. C’est pour cela que je vous en parle ce soir. Le Dalaï Lama est pour nous autres tibétains une émanation du noble Chenrezi. Ses paroles sont des paroles vraies. Il dit lui-même : « Ne prenez pas pour argent comptant tout ce que je dis. Examinez mes paroles demandez-vous si elles sont justes ou non. Tout ce que je dis n’est pas forcément vrai, examinez-le par vous-mêmes. ». En fait, puisqu’il est une émanation de Chenrezi, toutes ses paroles sont parfaitement justes, mais lui-même connaît l’instabilité de l’esprit des êtres et c’est pour éviter que la dévotion puisse changer en même temps que notre esprit change, qu’il prévient chacun d’examiner son propre esprit.

C’est pour cela qu’il faut s’efforcer de développer cette foi, cet esprit stable, car le Dharma n’a pas de matérialité. Le Dharma, c’est cette sagesse que nous développons et qui peut s’accroître dans notre esprit. C’est pour cela que nous devons acquérir cette stabilité. Le Dharma n’est rien d’autre que cela.

L’ensemble de tout ce que je viens de dire n’est qu’un rêve. C’est un moyen. Nous sommes maintenant dans le Bardo, état intermédiaire, du rêve. Nous avons vu qu’il était nécessaire tout d’abord de reconnaître que nous étions en train de rêver. Cette reconnaissance doit se faire plusieurs fois : une, deux, trois, quatre fois, sept fois.

Quand cette reconnaissance devient stable, nous allons pouvoir nous transformer en une divinité : dans notre rêve, après avoir reconnu que nous sommes en train de rêver, nous pouvons nous transformer en Chenrezi ou encore en un Bodhisattva, ou nous pouvons aller dans un paradis pur pour recevoir et écouter différents enseignements. Ceci est le deuxième aspect du rêve, après avoir reconnu le rêve.

Ensuite quand dans le rêvenous avons toutes sortes de peurs, que des ennemis viennent à nous, nous pouvons nous transformer en divinité ou transformer ces ennemis en divinité. De même, si nous rêvons que nous sommes dans une maison en feu, nous pouvons nous transformer et méditer que nous sommes une divinité.

Il y a trois aspects dans ce Bardo du rêve :
– la reconnaissance du rêve,

– la transformation de nous-même en tant qu’une divinité,

– et la transformation de toutes les peurs en tant que divinité.

Par rapport aux quatre éléments, si nous avons la possibilité de transformer la nuisance des quatre éléments en une divinité, c’est-à-dire que si nous avons la possibilité de nous transformer en une divinité, de transformer les apparences en un paradis pur ou en une divinité – peu importe la visualisation que nous sommes capables d’effectuer – si nous sommes capables de cela, dans l’état intermédiaire, nous n’aurons absolument plus aucune frayeur des apparences qui surviendront.

Nous avons terminé ce qui concerne l’état intermédiaire du rêve, le Bardo du rêve à proprement parler. Ensuite vient l’aspect de la claire lumière du rêve. Dans la claire lumière du rêve, il y a deux aspects :

– la claire lumière de l’expérience,

– la claire lumière de la réalisation.

En ce qui concerne la claire lumière de l’expérience, (nous pourrions, peut-être, ici dire « de la pratique » plutôt que « de l’expérience »), au moment de se coucher, avant de nous endormir, nous pensons à notre Lama, car, comme nous venons de le voir, pour les Tibétains, dans le Vajrayana plus particulièrement, le Lama est une figure qui est vraiment très importante.

Nous adressons une prière à notre Lama et nous lui demandons : « Puissé-je durant mon rêve pratiquer la claire lumière du rêve, puissé-je avoir l’expérience de la claire lumière du rêve, puissiez-vous m’accorder votre bénédiction pour que je puisse en avoir l’expérience. ». Quand nous nous endormons nous visualisons dans notre cœur une petite flamme et nous restons l’esprit parfaitement concentré sur cette flamme, sans aucune distraction. Au moment de notre endormissement toutes nos pensées se résorbent, s’évanouissent, déclinent. Il n’y a alors plus aucune pensée et notre esprit, c’est à dire notre saisie, se fond dans notre conscience et notre conscience se fond dans la base de tout.

Quand ensuite cette base de tout se fond dans la sagesse qui est présente depuis des temps sans commencement, c’est alors la claire lumière du rêve. Il est dit que si nous reconnaissons cette claire lumière du rêve, toutes les apparences sont alors parfaitement claires comme elles le sont quand le soleil brille ; c’est comme si nous ne dormions pas, comme si nous n’étions pas dans cet état de sommeil.

Si nous sommes dans cette claire lumière du rêve, nous dormons mais nous sommes capables de voir quelqu’un qui est présent, de voir tout ce qu’il fait, d’entendre tout ce qu’il dit. Nous ne sommes pas fatigués comme quelqu’un qui ne dormirait pas car nous dormons, mais nous sommes capables de voir tout ce que cette personne fait et d’entendre tout ce que cette personne dit. C’est alors la claire lumière de l’expérience, la claire lumière de la pratique.

Au moment de notre endormissement, quand notre conscience se fond dans cette base de tout, c’est le moment où nous perdons totalement conscience et où nous ne sommes pas encore en train de rêver. Ensuite toutes sortes de rêves peuvent apparaître. Nous sommes pris dans nos rêves, toutes sortes d’apparences peuvent survenir et nous sommes pris par ces apparences.

Le Neldjorpa, le grand yogi, lui, quand la conscience se fond dans la base de tout, reconnaît et réalise la nature même de son esprit. Ensuite vient le rêve et dans ce rêve il est capable d’avoir toutes sortes d’émanations, de se visualiser sous la forme de divinités, d’aller dans les champs purs, de faire tout ce qu’il souhaite faire dans ses rêves. Extérieurement, le grand Neldjorpa dort exactement comme nous, nous ne voyons aucune différence, mais pourtant le sens en est très différent. C’est pour cela, qu’extérieurement, nous ne pouvons absolument pas voir. Nous allons maintenant méditer.