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Enseignement

Le bardo de la méditation

Chepa Dorjé Rinpoché, Paris le 21 mai 2001

Nous devons penser que nous allons écouter cet enseignement pour libérer tous les êtres, pour que tous ces êtres dont le nombre est aussi vaste que vaste est l’espace, puissent atteindre l’éveil.

Ce qui est le plus important, c’est la nature même de l’esprit. Et la nature de l’esprit est aussi importante dans l’écoute de l’enseignement. En fait, si nous parlons, si nous avons toutes sortes de pensées dans notre esprit et que nous avons toutes sortes de bavardagesmentaux, si nous parlons trop, par la suite nous avons toutes sortes de pensées. Même s’il n’y a qu’une seule personne, il y a beaucoup de bavardage. Car à cause de la mémoire nous avons toutes sortes de bavardages mentaux.

Padampa Sangyé a dit à un de ses disciples qui lui faisait la requête de recevoir toute sa grâce, toute sa bénédiction :

Tout d’abord, détends-toi, arrêtes de penser. Si tu n’arrêtes pas de penser, quoi que je puisse te donner comme bénédiction, tu ne pourras pas les recevoir.

Il en est de même pendant l’écoute de l’enseignement. Il ne faut pas avoir toutes sortes de pensées, toutes sortes de bavardages mentaux, nous devons rester détendus. C’est ainsi que nous devons écouter cet enseignement.

En fait, si nous n’arrivons pas à avoir cette détente dans l’esprit et que nous avons toutes sortes de pensées durant l’enseignement, au bout d’une heure ou deux nous n’allons pas nous sentir bien, nous allons ressentir comme un malaise dans notre esprit.

Nous en sommes au Bardo de la Méditation, à l’état intermédiaire de la concentration. S’il y a toutes sortes de pensées durant ce Bardo de la Méditation, la méditation n’est pas possible.

Si grâce à toutes ces pensées, tout ce bavardage dans notre esprit, nous pouvions obtenir quelque chose de bien, tous les êtres l’auraient déjà obtenu. Si le méditant pense dans la méditation, il est dans le bavardage. De cette manière, il ne peut obtenir Rigpa, la Connaissance.
C’est pourquoi si vous voulez recevoir toute la la bénédiction, soyez détendus et de cette manière, dans cette détente, vous pourrez peut-être obtenir Rigpa, la Connaissance. Ce n’est pas au travers des mots et des sons que nous pouvons obtenir Rigpa, que nous pouvons obtenir la Connaissance.

Dans une de ses prophéties, Kuntuzangpo dit que ce n’est par le son que nous pouvions réaliser Rigpa. Il ne faut pas penser, il ne faut pas méditer. Ne méditez pas et ne pensez pas.

Pourtant aujourd’hui, nous parlons de ce Bardo de la Méditation car au départ, il faut pratiquer l’écoute, la réflexion et la méditation. Donc il est d’abord nécessaire d’avoir l’écoute. Ce genre de discours peut paraître un peu étrange, mais c’est ainsi, il y a l’écoute, la réflexion et la méditation et c’est avec ces trois étapes que les choses peuvent se passer d’une manière correcte.

Pour pouvoir réaliser Rigpa, il faut en avoir reçu l’introduction. Il faut en avoir une compréhension et c’est pour cela qu’il est nécessaire de passer par l’écoute.

Par cette écoute, nous pourrons en avoir une introduction et une véritable compréhension et de cette manière nous pourrons réaliser. Voici un exemple très tibétain, celui du yak : quand il est affamé et qu’il mange une touffe d’herbe, il regarde la touffe suivante, il est toujours en train de regarder la touffe d’herbe suivante. Nous devons procéder de même dans l’écoute du Dharma.

Pour la méditation, nous prenons l’exemple d’un muet : quand il mange quelque chose de sucré il ne peux pas en parler, il en apprécie simplement le goût.

C’est pour cela que tout d’abord, il faut un peu écouter. Il faut petit à petit acquérir une compréhension. Si nous rentrions tout de suite dans la nature de l’esprit, cela pourrait paraître un peu déroutant pour certaines personnes.

Aujourd’hui, nous sommes dans le Bardo de la Méditation et dans cet état intermédiaire de la concentration, nous parlons de la nature de l’esprit.

La nature de l’esprit est libérée depuis des temps sans commencement [1]. Cela veut dire que depuis des temps sans commencement, c’est libéré, donc qu’il n’y a rien à libérer. Si depuis des temps sans commencement, c’est libéré, qu’est-ce-que nous voulons méditer ? En fait, il n’y a pas à méditer. Il n’y a pas quelqu’un qui va libérer quelque chose puisque l’esprit se libère de lui-même, il n’y a pas à utiliser d’autres méthodes, il se libère de lui-même.

Puisque nous disons que tout est parfaitement libéré, il n’y a rien que nous devions libérer, tout est libéré. Si tout est parfaitement libéré, pourquoi faire toutes sortes d’activités ou s’entraîner à quelque chose ?

Mais quand nous avons un certain bien-être dans notre esprit, ce n’est pas cela la méditation. Parce que là, il pourrait y avoir une saisie.

L’esprit n’a pas de matérialité, alors que voulons-nous saisir, puisque l’esprit est vide ? L’esprit est vacuité donc il n’y a rien à saisir, il n’y a rien à libérer.

C’est cela la Vue. De cette manière, en fait, il n’y a pas à méditer et cela veut dire qu’il n’y a même pas quelqu’un qui pense à méditer ou à ne pas méditer. Nous ne savons pas comment ne pas méditer. Si nous savions, bien sûr cela serait simple. Il faut comprendre cette « non-méditation ». Si nous comprenons cette non-méditation, c’est cela la méditation et c’est la meilleure méditation. Mais nous ne savons pas, n’est-ce pas ?

Nous pensons : « Je ne médite pas », nous pensons : « Je médite ».

C’est pour cela que dans la pratique Dzogchen, la première chose est l’examen de l’esprit, nous examinons véritablement notre esprit, nous nous demandons : "est-ce que notre esprit est ?", "Est-ce que notre esprit n’est pas ?".
Jusqu’au jour où nous atteignons vraiment une certitude, la certitude de la nature de l’esprit, nous développons une confiance véritable en la vacuité de notre esprit. D’avoir cette confiance permet d’obtenir la Connaissance, nous réalisons que nous ne réalisons rien. C’est la grande réalisation.
Lorsque nous ne réalisons rien, c’est ça la réalisation. Quand nous pensons : « Il faut que je réalise quelque chose », nous n’obtenons rien, nous ne réalisons rien.

Comme dans la nature même de notre esprit, il n’y a ni effort ni persévérance. Quand il n’y a absolument aucun effort, c’est l’effort, c’est la persévérance. C’est là que nous parlons de la Paramita de la Persévérance.

Il en est de même pour la Paramita de l’Éthique. Si nous pensons : « Je dois protèger mon éthique », cela veut dire que nous pouvons aussi ne pas la protéger mais si nous nous rendons compte qu’il n’y a rien à protéger, là nous obtenons la Paramita de l’Éthique.

Si nous avons l’intelligence suprême, cette intelligence suprême c’est Manjoushri. Nous détenons l’épée de Manjoushri.

Pour pouvoir obtenir la Vue, pour avoir la compréhension de la non-méditation, il faut un moyen. La dernière fois nous avons vu ce moyen, c’est la pratique des « Trois Cieux », des « Trois Espaces ». Nous devons demeurer dans ces « Trois Espaces ». Notre regard doit se poser dans l’espace en face de nous. Nous ne devons pas penser que notre regard est posé dans cet espace, nous ne devons penser à rien. Si nous commençons à regarder les objets extérieurs en nous disant qu’ils sont beaux ou pas beaux, notre regard n’est plus dans cet espace. Si nous pensons : « Mon regard est posé dans cet espace », notre esprit n’est plus dans cet espace. Il faut juste que notre regard soit posé dans cet espace, sans saisie.

Donc ne pas regarder, ni poser notre regard avec trop de force, ne pas penser, ne pas se focaliser sur les objets extérieurs. Simplement demeurer, le regard posé, détendu dans cet espace... Ainsi naturellement, Rigpa, la Connaissance apparaîtra.

Dans la pratique de la Vue, nous utilisons les termes de « demeurer », de « se poser », en fait cela veut dire se poser dans cet état où il n’y a plus ni pensées grossières, ni pensées subtiles, ni pensées d’aucune sorte. Nous demeurons juste dans cet état.

Nous pourrons alors adresser une prière à notre Lama, à notre Maître, aux Bouddhas ou à l’assemblée des Bodhisattvas. En adressant cette prière, nous leur demanderons de nous accorder les « Quatre Initiations » et nous pourrons simplement penser que nous recevons les Quatre Initiations des Bodhisattvas et que l’ensemble de tous les Bodhisattvas se fond en nous.
Ensuite, dans les activités quotidiennes, nous prendrons d’abord quelques instants pour demeurer dans cet état, dans la Vue et dans l’état de cette Vue. Pendant l’activité, nous devrons trouver une égalité, une équanimité entre notre activité, la méditation et la Vue. Si nous ne faisons pas ainsi, notre activité et la Vue pendant la méditation seront séparées.

Dans le chemin de l’activité, il va falloir à nouveau examiner notre esprit, c’est-à-dire que nous allons nous dire : « Toutes sortes de colères peuvent survenir, de la jalousie et toutes sortes d’autres pensées ! ».

Pourquoi ces pensées surviennent-elles ?

Nous allons reprendre l’examen des pensées. Par exemple, nous avons de la colère, et une heure après de la compassion. Nous examinerons cela en nous disant : « Quand j’ai de la colère, où est ma compassion ? Où est-elle passée ? »...

" Et puis, si j’ai de la compassion, où va ma colère ? Hier, j’avais peut-être de la colère, aujourd’hui j’ai de la compassion, j’ai l’Esprit d’Éveil mais demain, est-ce que j’aurai l’Esprit d’Éveil ? Est-ce que j’aurai de la compassion ? Où sera-t-elle à ce instant ?".

Cela est très étonnant car mon esprit n’est pas toujours pareil. Mon esprit est bien à un moment, puis il est dans la colère puis, à un autre moment, il est dans l’Esprit d’Éveil. Il n’est pas tout le temps dans la colère car sinon la compassion et l’Esprit d’Éveil ne pourraient pas naître en moi.

Notre esprit n’a pas de forme, il n’a pas d’odeur n’est-ce pas ? Nous ne pouvons pas sentir notre esprit et puis notre esprit n’a pas de goût, nous ne pouvons pas goûter notre esprit et notre esprit n’a pas de forme, nous ne pouvons pas saisir cette forme.

Et si notre esprit n’était pas ? Sans forme, sans odeur, etc, il n’est pas mais pourtant il y a la colère, il y a la jalousie, il y a le désir-attachement qui apparaissentt dans notre esprit, tout apparaît dans notre esprit. Doc l’essence de notre esprit est vide, n’existe pas, mais malgré tout, tout peut y apparaître, toutes les apparences. En fait l’esprit n’est pas, mais malgré tout, tout surgit clairement. C’est pourquoi, depuis des temps sans commencement, la colère se libère d’elle-même et c’est pourquoi le désir-attachement se libère de lui-même depuis des temps sans commencement.

Si l’orgueil, depuis des temps sans commencement, ne se libérait pas de lui-même, nous n’aurions pas aujourd’hui la possibilité qu’il se libère. C’est pourquoi en ce qui concerne le désir-attachement, la colère et l’opacité mentale, si nous avons la compréhension que ces trois poisons sont, par leur nature même, libérés depuis des temps sans commencement, nous pouvons réaliser cette libération.

En fait, c’est comme si hier, nous avions un très fort orgueil et qu’aujourd’hui nous ne l’avons plus. Donc, si aujourd’hui, nous n’avons plus cet orgueil d’hier, c’est qu’il s’est libéré de lui-même. Si nous avons la compréhension de cela au moment où l’orgueil se manifeste, c’est alors qu’il se libère. Si nous en avons la compréhension après, cela ne va pas car sur le moment, nous avons eu une saisie de cet orgueil.
S’il en est ainsi de l’orgueil, il en est aussi ainsi de la compassion et de l’Esprit d’Éveil car si la compassion et l’Esprit d’Éveil ne se libéraient pas d’eux-mêmes, si nous avions de la compassion aujourd’hui, nous en aurions aussi demain. Et si demain, nous faisons naître en nous cet Esprit d’Éveil, aujourd’hui, où se trouve-t-il ?

Par sa nature même, l’Esprit d’Éveil est libéré, c’est pour cela qu’il n’y a pas d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en fait, il est au-delà du temps.

Cet Esprit d’Éveil est libéré depuis des temps sans commencement, il n’y a absolument aucune saisie, il n’a aucune saisie.

Mais malgré tout, nous avons toutes sortes de pensées qui traversent notre esprit, par exemple grâce aux objets extérieurs. Si nous regardons une couleur rouge, à ce moment-là, nous pensons : « J’aime cette couleur rouge" ou "Je ne l’aime pas". Pour la sensation, il en sera de même. Si nous nous sentons bien, nous allons avoir une saisie, nous dire : « Je me sens bien » ou au contraire : « Je ne me sens pas bien ».

Pour un bon pratiquant du Dharma, l’objet extérieur et l’apparence de son esprit vont, ensemble, en un instant se libérer.

Pour l’être ordinaire, il va y avoir l’objet extérieur perçu et celui qui perçoit l’apparence de cet objet, c’est-à-dire qu’il va y avoir les deux, à la fois l’objet et le sujet. À ce moment-là, deux saisies vont apparaître, c’est la dualité.

S’il y a cette dualité, il y a celui qui souffre et celui qui perçoit cette souffrance sur le support de l’objet extérieur. Pour le méditant, il n’y a pas celui qui ressent ou qui perçoit l’objet.

C’est là que nous allons parler de la réalisation de Rigpa, de la réalisation de la Connaissance. Cela veut dire que Rigpa va se réaliser elle-même, c’est littéralement cela, la Connaissance va se réaliser d’elle-même. Ce sera la réalisation de la Sagesse, de cette Connaissance, de la sagesse, de Rigpa qui va se libérer.

A ce moment-là, il y a des pensées, toutes les apparences émergent. Mais en fait, si par exemple, la pensée de l’orgueil émerge, au moment où cette pensée d’orgueil va survenir, elle va se libérer d’elle-même.

Celui qui n’a pas la compréhension, qui n’a pas la réalisation de la non-dualité, aura l’attention, la vigilance et aussi, par exemple, l’émotion de l’orgueil. Alors que s’il y a compréhension, à ce moment-là, la vigilance va se réaliser d’elle-même, va se libérer d’elle-même. Ce sera la réalisation et la pensée d’orgueil va se libérer d’elle-même.
C’est pour cela que, d’une manière générale, nous disons que toute chose est, de par sa nature même libérée d’elle-même depuis des temps sans commencement. C’est vraiment bien si nous arrivons à comprendre cela, que tout, depuis des temps sans commencement, est libéré.

Si nous avons cette compréhension, il n’y a plus d’espoir. Sans cela, nous sommes toujours dans l’espoir que quelque chose se libère. Parce que nous pensons toujours « Il est nécessaire que cela se libère » alors qu’en fait tout cela est libéré depuis des temps sans commencement. Et puisque tout est libéré depuis des temps sans commencement, à partir du moment où nous pensons « Il faut que tout cela se libère », là encore, nous avons toutes sortes de pensées. Nous sommes encore sur le chemin de l’erreur. Nous sommes dans le mensonge et c’est ce que Bouddha a dit :

Les êtres sont dans le mensonge, quel dommage !

Car depuis des temps sans commencement, tout est libéré. Mais comme nous pensons qu’il faut libérer quelque chose, il y a encore quelque chose… C’est pour cela qu’il n’y a rien à méditer et qu’il n’y a rien à comprendre. C’est pour cela qu’il est bien de faire la pratique des Trois Espaces. Nous en revenons à la pratique. Il faut pratiquer et je dis qu’il n’y a rien à méditer, il n’y a rien à comprendre et je vous dis « Pratiquez ! ». A nouveau, vous vous dites « mais qu’est-ce qu’il y a à comprendre ? » Mais en fait de dire qu’il n’y a rien à comprendre, c’est vraiment cela les Trois Espaces.

J’ai dit de pratiquer les Trois Espaces, comme je l’ai expliqué, cela signifie que nous ne nous disons pas « Je suis en train de bien pratiquer les Trois Espaces », mais qu’au contraire, nous avons la compréhension qu’il n’y a pas à méditer ces Trois Espaces. La pratique de la méditation de ces Trois Espaces, c’est comprendre qu’ils sont spontanément indifférenciés.
Nous allons maintenant durant quelques minutes demeurer dans la méditation de ces Trois Espaces, de ces Trois Cieux.


[1tib. yéné"