Accueil > Cours > Cours en ligne > Le bardo du rêve > Le Bardo du rêve - 4/12

Enseignement

Le Bardo du rêve - 4/12

Chepa Dorjé Rinpoché, Paris le 29 mars 2001

Nous devons penser que nous allons écouter cet enseignement sur les Six Bardos pour pouvoir établir l’ensemble de tous les êtres en l’état de Bouddha, l’ensemble de ces êtres dont le nombre est aussi vaste que vaste est l’espace.

Pour que l’esprit d’éveil puisse naître et une fois qu’il est né, nous devons le garder et l’entretenir pour empêcher qu’il ne décroisse.

Quel est le moyen pour faire naître cet Esprit d’Eveil ?

Le moyen est de penser au samsara, de penser à la souffrance du samsara, à l’impermanence et aux bienfaits de la libération.

Le renoncement : si nous pensons à la souffrance des six classes d’êtres ainsi qu’aux bienfaits de la libération, le renoncement va apparaître dans notre esprit. Quand nous avons fait naître ce renoncement dans notre esprit, il faudra l’accroître. Tout d’abord nous allons reconnaître que nous sommes dans une très grande souffrance et si nous avons rencontré le Dharma, il est possible que nous puissions penser : « grâce aux méthodes du Dharma, j’obtiens un bien- être et je souhaite que l’ensemble des êtres puissent l’obtenir aussi ».

Grâce à ces différentes pensées, nous développons le renoncement, mais si nous ne le cultivons pas, un jour nous recommençons. Si nous comprenons la souffrance du samsara, réfléchissons sur les bienfaits de la libération et suscitons ainsi un renoncement dans notre esprit, cela éliminera l’espoir et le désir. Car si il n’y a pas ce renoncement, il y a un très grand espoir, un très grand désir, un très grand attachement.

Comment être séparé de cela ?

Le seul moyen est le Dharma, il n’y a pas d’autre moyen. C’est le bienfait du Dharma.
Rien que dans la phrase : « l’ensemble des êtres qui embrasse tout l’espace, dont le nombre est aussi vaste que l’espace », il y a un sens très profond. Parce que si nous ne pensons pas à tous ces êtres, va naître dans notre esprit du désir, de l’attachement et du rejet. Mais pas d’amour.

Tous les êtres ont de l’amour dans leur esprit. Même parmi les animaux les plus sauvages, comme les tigres, les léopards ou les ours. Même l’ours qui est très cruel a pour ses petits un immense amour. Mais pas pour les autres petits, juste pour les siens.

Cela n’est pas de l’amour, l’amour que nous pouvons trouver dans le Dharma. Quand nous parlons d’amour dans le Dharma, c’est considérer que l’ensemble des êtres désirent le bonheur et penser que l’ensemble des êtres peuvent obtenir ce bonheur.

Nous pouvons avoir de l’amour, comme une mère pour ses propres enfants – et c’est ainsi d’une manière générale – mais pas pour les autres, comme le tigre ou la tigresse qui chérit ses petits et dévore ceux des autres. De même les êtres humains ont de l’amour vis-à-vis de leurs proches et nourrissent de la colère-aversion pour les autres. Ce que nous venons d’appeler amour n’est en fait absolument pas de l’amour. C’est de l’attachement et du rejet.

Le désir véritable, c’est que chaque être puisse obtenir paix et bien-être. Mais à cause du désir-attachement nous n’obtenons pas cette paix. Quand nous nous entraînons cet esprit, la première chose à travailler est de ne plus avoir le désir-attachement. Si nous l’avons dissout, nous pouvons trouver la paix et le bonheur véritable et les donner à autrui.

Depuis des temps sans commencement, nous errons dans le samsara, bien avant cette vie-ci, depuis de très nombreuses autres vies passées. De sorte que nous ne pouvons pas savoir si notre ennemi dans cette vie-ci n’était pas un de nos proches dans nos vies passées et si nos amis actuels n’étaient pas des ennemis dans nos vies passées. Nous ne savons pas si ces différents êtres n’ont pas été notre père ou notre mère. Ces parents ont eu une très grande bonté à notre égard et nous-mêmes, développons de l’amour envers eux. C’est pour cela qu’il faut développer de l’amour pour l’ensemble de tous les êtres.

Ainsi nous voilà revenus à la phrase où nous disons que nous pensons à l’ensemble de tous les êtres dont le nombre est aussi vaste que vaste est l’espace. C’est cet amour envers tous les êtres que nous devons développer dans notre esprit.
Nous prenons l’exemple de parents qui ont pu avoir et développer un immense amour. Et puis celui des enfants qui ont pu développer aussi cet amour. Et ainsi nous allons l’étendre à l’ensemble de tous les êtres.

Pour illustrer cela, il y a l’histoire que nous avons vue précédemment du noble Katayana [1] qui par son omniscience pouvait voir le karma passé et les vies passées.
Un jour il rencontra une femme qui mangeait un poisson et qui tenait dans son giron son enfant. Un chien se tenait en face d’elle. En fait, le poisson qu’elle mangeait était sa propre mère qui était morte et avait pris renaissance dans ce poisson, le chien en face d’elle était son père qui était mort et avait pris renaissance dans ce chien. Cet enfant qu’elle tenait était un ennemi d’une vie passé. Katayana a pu voir cela. De par notre ignorance nous n‘avons pas la possibilité de reconnaître nos vies antérieures et c’est ainsi que notre ennemi, si nous réfléchissons bien, a peut-être été notre père, notre mère dans les vies passées. Et inversement nos amis ont pu être nos ennemis.

C’est pour cela qu’il faut considérer que l’ensemble de tous les êtres ont pu être nos propres parents tel que le Bouddha Shakyamuni a dit : « l’ensemble de tous les êtres dont le nombre est aussi vaste que vaste est l’espace ». Cela veut dire qu’il n’y a plus de désir, plus d’attachement, plus de rejet. Il y a véritablement équanimité. C’est le premier sens.
Le second sens est la distinction entre Bouddhas et êtres ordinaires. Les Bouddhas n’ont pas de saisie, ils voient les apparences d’une manière parfaitement pure, ils ont la Vue parfaitement pure alors que les êtres qui ont de la saisie ont ce désir, cet attachement.

Si nous arrivons à ne plus avoir de saisie, nous pourrons voir un paradis pur. Dans ce cas, toutes les femmes, tous les hommes sont des Neldjormas ou Neldjorpas, c’est-à-dire de grandes et des grands pratiquants. A l’inverse, sans entraînement, nous ne pouvons pas parler de Neldjorpas.
Il y a en France, à Taiwan, toutes sortes de Lamas. Certains peuvent se dire Neldjorpas, c’est-à-dire de grands pratiquants, et dire que l’ensemble de toutes les femmes sont des Neldjormas, c’est-à-dire de grandes pratiquantes. En prétendant cela, ils peuvent avoir toutes sortes d’activités nuisibles.

Si ce Neldjorpa s’est entraîné d’une manière correcte, à moment-là, l’alcool qu’il pourra boire n’aura plus le goût de l’alcool, mais celui du dutsi, le nectar. Ou s’il tue quelqu’un, instantanément, la personne morte va se relever, renaître, et revivre. Mais s’il n’a pas la maîtrise de ses souffles, dans l’union avec une femme, il va perdre ses tiglés. Mais le grand méditant a la maîtrise de ses souffles et ne perdra pas ses tiglés (si nous perdons nos tiglés, la femme peut tomber enceinte et avoir un enfant.) Le grand pratiquant, si jamais il fait cela, saura pourquoi il le fait. Il aura la prescience que s’il conçoit cet enfant à ce moment-là, il va être bénéfique à autrui, il va véritablement aider autrui.

Au Tibet, le pratiquant qui n’a pas réalisé la non-saisie est très facile à démasquer ! Par exemple il dira : « j’ai réalisé la maîtrise des souffles et des canaux ». Mais il sera très facile de voir qu’il n’a pas réalisé puisqu’il sera tout tremblotant à cause du grand froid qu’il fait au Tibet. Alors que s’il a réalisé ses souffles et ses canaux, il aura la chaleur interne. Si encore je dis « j’ai réalisé l’absorption méditative et maintenant ma nourriture est cette absorption méditative et plus du tout la nourriture terrestre », quelqu’un pourrait penser « C’est étrange parce qu’il va souvent aux toilettes »… Ce serait comme prétendre : « Moi, mes tiglés je les remonte. Ils ne descendent pas, ils ne sortent pas, je suis en train de les remonter. » Et si cette personne-là a beaucoup d’enfants …
Ce genre de Neldjorpa, quand il va avec une femme, n’a pas une conduite correcte. A l’inverse celui qui s’entraîne véritablement aura cette maîtrise sur les tiglés.

Chaque être humain a dans son esprit le désir de vouloir aller avec un homme si c’est une femme, et une femme si c’est un homme. C’est quelque chose de tout à fait normal d’avoir ce genre de pensées. Et si nous nous entraînons, il est tout à fait bien d’avoir cette relation. Mais si nous ne nous entraînons pas, il n’est pas bien d’avoir ce genre de relation.
Je ne dis pas que tout le monde devrait être moine, bien sûr que non. Il y en a beaucoup qui sont moines, mais tout le monde ne doit pas l’être. Je dis cela parce que certains d’entre eux viennent en France et disent à une femme : « je suis un grand méditant, donc viens avec moi ». En fait, cette personne-là n’a rien d’autre dans son esprit qu’un très grand désir pour cette femme. Ce n’est pas quelque chose de correct. Puisqu’il y a du désir et de l’attachement il a besoin de cette femme. Il va avoir besoin d’elle un an, deux ans et après il n’en aura plus besoin et il la jettera.

Le bardo du rêve

Nous sommes actuellement dans le Bardo du Rêve, dans l’état intermédiaire du rêve. Il faut voir l’ensemble de toutes les apparences semblables à un rêve. Comme nous l’avons vu, au moment de notre sommeil il est important d’avoir la vigilance, le rappel. Nous devons nous dire : « maintenant je vais entrer dans le rêve, puissé-je reconnaître que je suis dans un rêve, puissé-je avoir la maîtrise de ce rêve ». Nous devons méditer notre propre divinité, notre Yidam. Ce Yidam est propre à chacun. Ou alors, cela peut être le Lama racine. Il y en a peu – ou il est difficile d’avoir ce Lama racine – mais si nous le méditons, nous le méditons se trouvant dans notre giron.

Nous devons premièrement saisir le rêve, le reconnaître. Au début, ce n’est pas forcément évident. Il est possible que nous puissions saisir ce rêve, reconnaître ce rêve quand par exemple, nous rencontrons des apparences qui font peur. Durant les cauchemars, nous pouvons reconnaître que ces apparences sont illusoires, sont un rêve. Mais si, là encore, nous n’arrivons pas à reconnaître le rêve, nous devons visualiser au niveau de notre gorge, un lotus à quatre pétales. Sur le pétale de devant nous allons visualiser un « AH », à droite un « NOU », derrière un « TA », à gauche un « RA ». Tout ceci à l’intérieur de notre gorge.

De toute façon, puisque l’essence de notre esprit est vide, à l’intérieur ou à l’extérieur, vous pouvez méditer où vous voulez. Méfiez-vous parce que si vous le visualisez à l’intérieur de votre gorge, en déglutissant, vous allez peut-être avaler le lotus ! Je plaisante.

Tout d’abord le « AH ». Le « AH » c’est la reconnaissance du rêve. Ensuite lorsque nous commençons à être fatigué, c’est-à-dire que nous pensons nous endormir, à ce moment-là, c’est le « NOU ». Ensuite, nous avons encore envie de dormir mais nous ne réussissons toujours pas à dormir, à ce moment-là, c’est le « TA ».
Ensuite, nous commençons à vraiment nous endormir, mais pas encore suffisamment, car si deux personnes parlent à côté de nous, nous pouvons les entendre, pas forcément les comprendre mais les entendre. Cela est le « RA ». Ensuite, vient le moment où nous nous endormons vraiment. Si nous sommes capables d’avoir l’esprit concentré sur ce « AH », il est sûr que nous pourrons reconnaître notre rêve.

Cela peut-être difficile car certaines personnes s’endorment dès qu’elles s’allongent et d’autres, si elles visualisent, n’arriveront pas du tout à dormir…

Pour les lettres, il est possible que nous nous concentrions uniquement sur les sons, car nous ne connaissons pas les lettres tibétaines et nous ne pouvons pas les lire. Nous pouvons alors juste les marquer en français et se concentrer sur les sons « AH – NOU – TA – RA ».

Si c’est un peu trop compliqué, nous pouvons simplifier en visualisant au niveau de la gorge un petit tiglé, une petite sphère lumineuse de couleur blanche. Cette lumière est très vive. Il suffit juste de concentrer notre esprit sur cette sphère lumineuse. Si nous faisons ainsi nous pourrons nous endormir. Mais si notre esprit part ailleurs nous ne pourrons alors pas nous endormir. Donc avant de rêver il est bien de méditer et d’avoir l’esprit complètement vide afin que nous puissions nous dire : « maintenant je vais m’entraîner sur la claire lumière, je vais m’entraîner à reconnaître le rêve ».

Il y a différentes pratiques dans la tradition bouddhiste, le Dharma, par exemple la phase de création. Au début de la phase de création, nous récitons un petit mantra tel que : « à partir de la vacuité … ». Cela veut dire qu’au départ, nous allons être dans la vacuité. Notre esprit est littéralement sale (toutes sortes de pensées encombrent notre esprit) et si nous commençons à visualiser avec toutes ces pensées, cela ne sera pas pur. Donc au départ, nous rendons tout parfaitement propre, nous rendons tout de la nature de la vacuité et c’est ainsi que par la suite, nous pouvons faire la phase de création.

Nous devons d’abord nous détendre, corps et esprit, et après cela, nous allons pouvoir mettre de côté toute l’activité de la journée et véritablement nous dire : « maintenant je vais m’entraîner à reconnaître le rêve ». Si nous ne faisons pas de cette manière, notre esprit va avoir toutes sortes de pensées de l’activité du jour, ce qui n’aidera pas. Nous ne réussirions peut-être même pas à dormir.

D’où la nécessité d’avoir de la persévérance dans la pratique de la reconnaissance du rêve Quand nous allons reconnaître le rêve une fois, quelques jours après nous pourrons le reconnaître une deuxième fois, puis quelques jours après une troisième fois. Cela signifie que nous n’allons pas le reconnaître nécessairement de manière continue.

Il faut avoir de la persévérance. Nous allons le reconnaître et puis trois jours ou quatre jours après, nous allons le reconnaître une deuxième fois et puis, nous allons le reconnaître peut-être trois fois dans le mois. Et si nous persévérons, quand nous voudrons reconnaître le rêve, nous pourrons le reconnaître à volonté.

Si malgré cela nous n’arrivons pas à reconnaître notre rêve, nous devons reprendre les vœux de refuge. Nous prenons refuge, développons l’Esprit d’Eveil, faisons des pratiques de purification et pratiquons l’accumulation de mérites. Il est nécessaire d’avoir tout cela pour pouvoir saisir le rêve.

Donc nous allons chercher à reconnaître le rêve et avoir une stabilité dans cette reconnaissance.

Si nous avons la reconnaissance du rêve mais que petit à petit nous ne continuons pas à avoir cette reconnaissance, nous allons l’oublier. Acquérir une stabilité, que notre rêve soit long ou court, se fait par la reconnaissance. Si nous faisons ainsi nous serons capables de faire et de nous transformer en ce que nous désirons car dans notre rêve nous n’avons pas de corps. Quoique nous pensions, en un instant, nous pourrons le devenir.

En Tibétain, nous disons littéralement « s’émaner », mais nous traduisons par « se transformer ».

Si nous voulons nous transformer ou devenir un Bouddha, nous deviendrons un Bouddha, si nous voulons nous transformer en Bodhisattva, nous deviendrons un Bodhisattva, en être ordinaire, nous deviendrons un être ordinaire.

Alors la nuit, ce sera la pratique du sommeil. Les méditations diurne et nocturne sont un peu différentes. Il se peut que nous méditions pendant la journée et toute la journée pendant un mois et trouvions que nous méditons mal. Mais si nous méditons pendant la nuit, il est tout à fait possible que nous puissions reconnaître notre rêve. Nous pouvons sans succès, pratiquer pendant un mois la méditation diurne pour obtenir la pacification mentale, et y parvenir en une nuit grâce à cet entraînement.

Nous allons méditer quelques minutes sur cette pratique du rêve. Il faut juste avoir l’esprit détendu.


[1un disciple du Bouddha