Accueil > Cours > Cours en ligne > Le bardo naturel de cette vie > Le bardo naturel de cette vie - 19/19

Le bardo naturel de cette vie - 19/19

Enseignement de Chépa Dorjé Rinpoché - Paris, le 15 mars 2001

Les êtres vivants sont importants. Nous allons donc penser que nous allons écouter cet enseignement pour tous ces êtres. Après avoir écouté cet enseignement nous devons penser que nous l’avons écouté pour pouvoir faire le bien de l’ensemble de tous les êtres.

Quand nous nous dirigeons quelque part, tout d’abord, nous allons sur un chemin, puis nous arrivons là où nous souhaitons aller. De même, nous pensons que nous allons écouter l’enseignement pour l’ensemble de tous les êtres, puis ensuite nous réalisons cela. « Réaliser » signifie que nous avons écouté cet enseignement pour le bien des êtres. Tout d’abord nous développons l’aspiration, puis ensuite, nous obtenons le résultat de la mise en pratique. Il en est de même pour la méditation. Nous avons dans un premier temps la pensée de méditer puis il y a l’acte de méditer en deuxième position et enfin, il y a la réalisation complète de cet acte. Lorsque les trois sont réunis, l’acte est complet, il est véritable.

Prenons pour exemple un texte de prières. Nous allons avoir la pensée de le lire, nous allons le lire, puis après l’avoir lu, la lecture de ce texte sera terminée. Grâce à ces trois étapes, nous allons pouvoir accumuler une très grande vertu.

Prenons un autre exemple où nous pouvons accumuler de très grandes fautes. Pour illustrer cela, si aujourd’hui, je pense à un poisson et que je veux en manger, penser au poisson est une pensée. Puis il va y avoir l’acte, c’est-à-dire que je vais voir un poisson, je vais l’acheter, le tuer puis je vais le manger. En le mangeant, l’acte devient complet. Dans ce cas, j’ai accumulé quelque chose de négatif, de mauvais. Dans un premier temps, il n’y a pas la moindre activité car c’est la première pensée, puis ensuite il y a la production de cette activité, nous agissons, puis cette activité arrive à son terme.
Pour un pratiquant du Dharma, lorsque la pensée de faire quelque chose de négatif s’élève, nous allons pouvoir nous dire : « tiens, là je vais faire quelque chose qui ne va pas ! » Grâce à la vigilance, à l’attention, à partir du moment où nous avons ce rappel, nous ne commettrons pas d’acte négatif. Par exemple, s’il nous vient à l’esprit cette pensée : « quand je vais voir untel, je vais lui dire cela » si nous sommes vigilants, nous penserons : « si je dis ceci ou cela à cette personne, peut-être qu’elle va se mettre en colère, qu’elle ne va pas apprécier ce que je vais lui dire, il vaudrait donc mieux que je ne dise rien ! » A ce moment-là, ce rappel, cette vigilance va nous permettre de nous en rendre compte.

Si, à l’inverse, nous n’avons pas de vigilance, nous allons parler à cette personne et finalement elle va se mettre en colère. Il est dit qu’à partir du moment où nous disons des paroles blessantes, nous n’avons pas de protecteur. Cela signifie que nous ne sommes pas vigilants. Les protecteurs sont la vigilance, le rappel.

Traditionnellement, les Tibétains récitent certains textes en frappant sur le tambour pour appeler différents protecteurs tels que Mahakala. En réalité, il s’agit de la vigilance, de l’attention. Si nous n’avons pas le rappel, frapper sur un tambour en appelant le protecteur ne sera d’aucune aide, cela n’a aucun sens. Nous pouvons voir parfois certains Lamas tibétains faire de grands rituels pour appeler des protecteurs et en même temps, ils boivent beaucoup d’alcool et font toutes sortes de choses, peut-être que les protecteurs aident ou qu’ils n’aident pas, je ne sais pas bien. Mais je pense que pour ces Lamas tibétains dans cet état-là, leurs protecteurs respectifs vont livrer bataille. Il y en a un qui va dire : « mon protecteur est le meilleur » et un autre va dire « non, c’est le mien qui est le meilleur » et il y aura de la discorde. Tout cela parce que, à ce moment là, ils n’ont pas de vigilance.

Car en ce qui concerne les vertus à pratiquer et les non-vertus à rejeter, qu’est-ce qui permet de reconnaître les deux ? C’est la vigilance, c’est cette attention. Donc si nous avons le rappel, il n’est pas nécessaire de frapper sur un tambour pour appeler les protecteurs ou de boire de l’alcool. Il y a comme un mensonge. Oui, cela existe aussi chez les Tibétains. Certains pratiquent le Dharma d’une manière véritable et d’autres mentent. Certains d’entre vous peuvent penser que tous les Tibétains sont de bons pratiquants. Non, ce n’est pas ainsi. D’une manière générale, effectivement au Tibet, il peut y avoir des pratiquants du Dharma, mais pas toujours.

Mais revenons en à la vigilance, au rappel. Nous allons d’abord avoir une pensée pour tous les êtres, puis ensuite effectuer la pratique, et conclure à la fin de la pratique. Lorsque nous allons réciter un texte, nous en avons le rappel. Tout d’abord, nous allons penser que nous allons réciter ce texte pour le bien de tous les êtres et pour pouvoir libérer l’ensemble de tous les êtres. Ensuite durant la récitation du texte, il nous faut encore avoir de la vigilance à l’esprit et faire de même pour la récitation du mantra. Lorsque nous avons terminé la récitation, si nous avons gardé en l’esprit, la vigilance, nous avons accumulé grâce à cette pratique un grand mérite.

Pour la méditation, c’est pareil. Par le rappel, nous allons penser que nous allons méditer pour le bien de tous les êtres. Lorsque nous sommes en absorption méditative, nous ne devons pas suivre les pensées. Puis, lorsque la pratique de méditation est terminée, nous devons dédier les mérites et faire des souhaits pour l’ensemble des êtres. Ainsi, là, la méditation est bénéfique.

C’est très important de reconnaître notre pensée. Si nous voulons nous disputer avec quelqu’un, cette pensée est en notre esprit. Si nous reconnaissons cette pensée et que nous nous disons, « non, là ce n’est pas une bonne pensée ! » Grâce au rappel, même si nous avons eu une mauvaise pensée au départ, nous n’agirons pas. Si nous avons le désir de voler quelque chose, il y a dans un premier temps cette pensée de voler. Nous regardons un objet que l’autre possède et pensons : « je veux cet objet, je veux le voler ! » Si nous reconnaissons, par la vigilance cette pensée : « oui, je veux cet objet » et qu’en même temps, nous voyons que ce n’est pas bien, nous avons effectivement eu la pensée de voler mais l’acte n’a pas été complet car nous n’avons pas pris l’objet.
Pour illustrer cela, voici cette histoire.

Il y avait dans la montagne un pratiquant qui méditait dans une grotte. C’était le disciple de Drungtongpa. Sa ration de thé était terminée. Dès qu’il n’en eut plus, il se dit : « il va falloir que j’aille mendier pour avoir à nouveau du thé ». Il descendit en ville pour mendier son thé. Des gens l’invitèrent et lui offrirent du thé sans lui en donner à emporter. Il n’avait toujours pas de thé. Il eut la pensée d’en voler pendant que les personnes étaient sorties de la pièce. Il faut savoir que les Tibétains gardent le thé dans un sac de peau. Le sac était à côté de lui. Il mis sa main dans le sac et là, il a eu le rappel et s’est dit : « non, ce que je suis en train de faire là n’est pas correct ! » Alors il a appelé ses hôtes et s’est écrié : « venez, venez, je suis en train de voler ! ». Il a gardé sa main dans le sac pour que ces personnes puissent voir. Cela l’a aidé.

Il y a une autre histoire qui se passe dans un monastère.

Dans un monastère, les moines pour le thé ou la soupe se placent sur deux lignes. Chacun des moines tient son bol, Il y en a un d’entre eux qui les sert un par un, en passant entre les rangs. Le tout dernier moine qui se trouvait en bout de file s’est dit : « je ne vais peut-être pas avoir de soupe, je vais mettre mon bol un peu devant pour qu’il ne m’oublie pas ». Le moine serveur est donc passé dans les rangs pour servir la soupe et lorsqu’il est arrivé près du dernier moine, il a vu que son bol était retourné. Ce moine lui a dit : « merci, j’ai déjà soupé ». Ce moine a dit ceci car il a reconnu qu’il avait eu une mauvaise pensée. Nous pouvons dire qu’il a eu une bonne vigilance, un bon rappel. Un bon pratiquant du Dharma est ainsi, il doit avoir la vigilance et le rappel. Si nous avons ces rappels, les protecteurs sont là, naturellement, spontanément. C’est le pouvoir naturel, spontané du protecteur.

Pour le pratiquant du Dharma, la vigilance, le rappel, c’est la méditation. Par le rappel, le pratiquant est dans la méditation, il n’a pas besoin d’une deuxième méditation car la vigilance c’est la méditation. En ayant la vigilance dans la méditation, il n’y a pas besoin d’autre pensée. Si dans la méditation, nous disons : « je suis en train de méditer, je médite bien, je médite mal. » cela est une saisie sur le rappel. Puisque le rappel, la vigilance c’est la méditation, il n’est pas nécessaire d’y mettre d’autre pensée. Si nous faisons ainsi, nous saisissons une seconde fois la vigilance. Le vrai pratiquant sait que lorsqu’il a la vigilance, il médite, il sait qu’il n’y a pas besoin d’autre méditation.
En tibétain drenpa signifie détente, cela pourrait aussi être traduit par la vigilance, par l’attention. Cette détente qui survient lorsque nous avons la vigilance ne doit pas être saisie non plus. Si dans cette détente de la vigilance, nous nous disons : « oh, je me sens bien ! », nous ne sommes plus dans la détente, dans la vigilance. Lorsque nous sommes réellement dans cette attention détendue, il n’y a plus d’observateur, il se libère de lui-même.

Egalement, si dans ce drenpa, nous ressentons une sorte de torpeur, d’opacité dans l’esprit, à ce moment-là, nous ne sommes plus dans la détente, nous somme dans l’opacité mentale.

Quand nous sommes véritablement dans l’état de vigilance détendue, la vacuité apparaît spontanément. Nous ne pensons pas que nous sommes dans la vigilance ou dans la détente ou dans la vacuité ou même que nous pratiquons le Dzogchen, il n’y a rien de tout cela. Cet état là ne peut pas être exprimé par des mots, nous ne pouvons même pas le concevoir à l’esprit. Dans le texte de la Prajnaparamita, un vers fait référence à cet état non exprimable par les mots et non concevable par notre esprit. Pourquoi dire quelque chose s’il n’y a pas d’observateur, il n’y a personne qui pourrait vouloir dire quelque chose. Il n’y a alors pas d’espoir, par d’espoir de réalisation, nous ne nous disons pas : « c’est bien, ce n’est pas bien, je vais obtenir cela ou je ne vais pas l’obtenir ».

Pourquoi cela ?

Parce que notre esprit depuis des temps sans commencement est libéré de lui-même, il n’y a rien à libérer car depuis des temps sans commencement il est libéré.

Pourquoi voudrions nous méditer puisqu’il est libéré ? A quoi cela sert-il de méditer si notre esprit est libéré depuis des temps sans commencement ?
Ainsi la méditation va juste consister à avoir ce rappel, cette vigilance, à voir cet observateur, à voir celui qui a cette vigilance, cette attention, celui qui reconnaît toutes les pensées qui viennent à l’esprit. La méditation va être cet observateur.
Depuis des temps sans commencement notre esprit est libéré et quand nous allons reconnaître cette libération, nous allons être dans la vision pénétrante, Laktong en tibétain. L’on ne peut pas méditer Laktong, il n’y a pas à méditer Laktong, il n’y a qu’à reconnaître que. Laktong est un état. Parce qu’en réalité, l’esprit se libère de lui-même, c’est sa propre méthode, il n’y a pas besoin d’autre méthode. Comme il se libère de lui-même, tout se libère de soi-même. Il n’y a rien à penser car il n’y a même pas d’observateur, quelqu’un qui observe. C’est cela la Vue.

Maintenant nous allons méditer quelques minutes.